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Actualités & analyses > Les grilles d’analyse de l’expert du CE et des OS pour l’étude des PSE – MédiaCE, janvier/février 2016


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Les grilles d’analyse de l’expert dans l’étude des PSE, supports de la négociation des OS et du CE

 

Dans le cadre des analyses menées pour le compte du CE et des OS, lors d’un PSE, l’expert aborde le document d’information-consultation selon deux approches complémentaires: l’analyse de l’argumentaire économique et l’analyse des mesures sociales. Ces deux approches suivent une démarche méthodologique visant à favoriser la négociation du CE et/ou des OS.

Concernant l’analyse de l’argumentaire économique, cinq chapitres sont nécessairement développés par l’expert

Le premier porte sur l’analyse du projet de restructuration de l’entreprise au regard de son groupe d’appartenance. Il s’agit donc d’interroger la direction sur le bon niveau d’analyse des difficultés sachant que cette information est rarement précisée en l’état dans le document d’information- consultation. Par cette analyse élargie, il s’agit de se conformer aux récentes jurisprudences (Goodyear). Il ne suffit pas, en effet, d’énoncer des difficultés économiques à l’échelle d’une seule filiale, difficultés dont le Groupe est peut-être lui-même à l’origine (par le biais des prix de transfert, de refacturations…).

Par ailleurs, la définition du Groupe d’appartenance est théoriquement pertinente pour définir la proportionnalité des moyens alloués aux mesures sociales. Toutefois, cette notion de proportionnalité reste relativement floue, car il n’existe pas de barème ou d’indicateurs permettant de « fixer » les mesures sociales (et encore moins le niveau des indemnités supra légales) en fonction des moyens du Groupe.

Le second axe d’analyse de l’argumentaire économique concerne le secteur d’activité du Groupe sur lequel l’entreprise agit. Ce point fait également référence à des jurisprudences récentes d’importance (Heinz). Il est nécessaire d’apprécier le niveau pertinent d’analyse, car la direction pourra être tentée d’exagérer des difficultés sur un segment limité d’activité, en omettant d’évoquer les niveaux amont ou aval de cette activité qui dégageraient de solides résultats. Nous prenons ici pour exemple les cas de filiales de commercialisation / distribution en difficulté alors que les marges sont maintenues, voire augmentées, au niveau des filiales de production (par le biais des prix de transfert).

Le troisième point d’attention concerne l’analyse des prévisions d’activité et de résultats. Il ne s’agit donc pas uniquement de vérifier que les difficultés actuelles sont bien réelles, mais également de vérifier qu’elles seraient persistantes, voire plus importantes, si la réorganisation n’était pas mise en œuvre.

La notion de sauvegarde de la compétitivité a été largement utilisée voire de façon abusive par les directions pour justifier la mise en œuvre des PSE. Pour autant, les directions sont souvent réticentes à transmettre leurs projections d’activité et de résultats. Dès lors, comment justifier le caractère inéluctable d’une réorganisation s’il n’est pas possible d’en montrer les effets positifs à court ou moyen terme sur l’activité et les marges ?

Le quatrième sujet d’analyse est l’efficience économique des mesures envisagées. Les économies escomptées sont-elles suffisamment conséquentes pour participer au redressement de l’entreprise ? Sont-elles correctement estimées? La direction n’a-t-elle pas omis diverses charges liées à la réorganisation qui viendraient impacter à la baisse les économies initialement estimées ? De même, la comparaison entre les économies générées par le projet et le coût du PSE est forcément analysée. En effet, un « retour sur investissement » de plusieurs années ne remet-il pas en question l’intérêt d’un projet qui cherche à corriger des difficultés de court terme ?

Enfin, le cinquième thème porte sur la pertinence organisationnelle des mesures envisagées. Les suppressions de postes se traduisent par des ajustements de l’organisation dont il convient d’en mesurer les effets. De nombreuses questions apparaissent dès lors : Les indicateurs servant de base aux suppressions de postes sont-ils les plus pertinents ? Les postes maintenus seront-ils suffisants pour poursuivre l’activité ? Des postes clés n’ont-ils
pas été supprimés ?…

Ces divers angles d’analyse de l’argumentaire économique ont deux objectifs principaux

D’une part, ils permettent de crédibiliser des propositions alternatives aux suppressions de postes. En effet, la bonne connaissance de la situation économique et financière de l’entreprise et le temps consacré à l’analyse organisationnelle future / cible conduisent l’expert à formuler des alternatives argumentées et solides. Et la direction pourra dès lors être conduite à aménager son projet.

D’autre part, l’analyse de l’expert peut fragiliser la justification économique présentée par la direction, pourtant à la base des suppressions de postes. Or, pour parvenir à un accord majoritaire avec les OS, la faiblesse d’une argumentation économique avec des suppressions de postes insuffisamment justifiées devront être compensées par une révision à la baisse du nombre de licenciements envisagés et par des mesures sociales plus « généreuses ».

L’analyse économique et organisationnelle constitue donc bien un levier de négociation. En tout état de cause, il s’agit pour l’expert de créer les conditions les plus favorables possibles aux OS / au CE pour la négociation d’alternatives crédibles et l’amélioration des mesures sociales.

À nouveau, la grille d’analyse de l’expert sur les mesures sociales se décline en cinq chapitres

Dans un premier temps, l’expert cherche à circonscrire le champ d’application du PSE au travers des catégories professionnelles (catégories d’effectifs homogènes, occupant un emploi « proche »). Ces dernières sont essentielles pour déterminer les effectifs qui seront impactés par le PSE. Elles doivent être négociées avec les OS. L’étude des catégories professionnelles est souvent délicate, car elle renvoie au principe de l’objectivité du PSE : la direction ne peut pas « choisir » les personnes qui seraient impactées par une suppression d’emploi.

Lorsque les catégories professionnelles sont définies, l’expert réalise une analyse de la population potentiellement concernée selon diverses caractéristiques : âge, sexe, ancienneté, rémunération… Cette analyse servira de base à la formulation des préconisations sur les mesures sociales. En effet, en fonction des caractéristiques de la population, certaines mesures sociales pourront s’avérer plus ou moins pertinentes.

Un troisième axe d’étude concerne les critères. La désignation des personnes concernées par le PSE, au sein d’une catégorie professionnelle, est établie en fonction du nombre de points obtenus par application des critères. Nous pouvons ainsi émettre des préconisations pour faire évoluer d’une part, le choix des critères retenus et d’autre part, la pondération de ces critères les uns par rapport aux autres. Ces préconisations sont directement liées à l’analyse des caractéristiques sociales de la population impactée.

Depuis la loi Macron, l’employeur peut fixer – par la voie du document unilatéral – le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l’entreprise dans son ensemble. Autrement dit, il peut décider lui-même de circonscrire le champ d’application des critères à un ou plusieurs établissements où des postes sont supprimés, selon les zones d’emplois définies conjointement dans l’atlas de l’Insee et de la Dares.

Dans un quatrième temps, l’expert étudie la pertinence des mesures sociales d’aide au retour à l’emploi. L’expert propose des améliorations des mesures proposées par la Direction (en matière d’aide au départ volontaire, de budget formation, de congé de reclassement (durée/indemnisation), de prime de retour rapide à l’emploi, d’aide à la mobilité, d’engagements du cabinet de reclassement…); l’expert peut également préconiser d’autres dispositions en lien avec les caractéristiques sociales des populations concernées par le plan.

Inutile ainsi de préconiser une hausse de la durée du congé de reclassement pour les plus de 55 ans si aucun salarié potentiellement impacté n’a atteint cet âge. De même, les efforts à porter sur les budgets de formation devront être d’autant plus conséquents que l’employabilité de la population concernée n’aura pas été maintenue par l’entreprise. L’expert manque parfois de repères pour valider la pertinence des mesures sociales d’aide au retour à l’emploi, car les bilans des PSE passés sont très peu formalisés par les entreprises. Dès lors, la nouvelle obligation faite aux employeurs de communiquer aux Dirrectes ces bilans pourra servir de base aux préconisations pour les éventuels prochains PSE. Mais il est encore trop tôt pour tirer parti de l’exploitation de ces documents.

Enfin, la négociation des indemnités supra légales devra intervenir en dernier ressort pour éviter une limitation des budgets alloués aux mesures d’aide au retour à l’emploi vues ci-dessus. Ce point n’est pas toujours abordé par l’expert, car les OS ont souvent déjà des idées sur les montants à négocier. Néanmoins, l’expert peut les guider en fonction de leurs attentes (croisement âge/ancienneté, indemnité forfaitaire…) et effectuer des simulations de coût global pour l’entreprise.

Nous pouvons dès lors mesurer le chemin parcouru depuis l’ancienne législation : d’une stratégie de blocage de la procédure mettant en avant « l’insuffisance d’informations », les représentants du personnel, accompagnés de leurs experts, sont contraints de trouver de nouveaux leviers de négociation au travers notamment des principes du dialogue social, des rappels à la jurisprudence et du rôle des Dirrectes.

Globalement, ces analyses économiques et sociales doivent contribuer à l’émergence d’un accord. En effet, pour les OS, « valider » des suppressions de postes par le biais d’un accord collectif majoritaire a un prix que la direction doit être prête à négocier au travers la limitation du nombre de suppressions d’emplois et l’amélioration des mesures sociales. L’objectif des partenaires sociaux est bien sûr le maintien de l’emploi ou à minima le retour rapide à l’emploi. Les analyses de l’expert sont là pour favoriser cette négociation et l’atteinte de ces objectifs.

 

Julien Sportès
Média CE – janvier février 2016

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