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Actualités & analyses > La rupture conventionnelle collective : l’absence d’intervention de l’expert-comptable risque de peser sur la compréhension des enjeux économiques de l’accord et la pertinence des mesures sociales d’aide au reclassement – Revue Française de Comptabilité, mars 2018


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Le nouveau dispositif de la rupture conventionnelle collective, institué dans les Ordonnances n° 2017-1386 sur le renforcement du dialogue social (22/09/2017), vise à inscrire dans le Code du travail les plans de départ volontaire.

En effet, les modalités de rupture collective à l’amiable de contrats de travail suite à une réorganisation se traitaient dans le cadre des procédures de Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Il était par ailleurs fréquemment utilisé la terminologie de « plan de départ volontaire autonome » pour caractériser les procédures PSE ne comportant qu’une dimension de volontariat.

Ainsi, dans l’Ordonnance relative à « la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail », les ruptures conventionnelles collectives ne seraient qu’une reprise dans les textes d’une pratique qui serait déjà diffusée.

Dans un premier temps, rappelons les principales dispositions de la rupture conventionnelle collective :

  • Le dispositif s’appliquera à la date de publication des décrets et au plus tard le 1er janvier 2018 ;
  • Il s’agit d’un accord collectif qui exclut tout licenciement : le volontariat individuel des salariés (« liberté de consentement ») et l’acceptation de ce volontariat par l’employeur sont deux conditions indispensables pour que la rupture du contrat de travail soit considérée d’un « commun accord des parties » ;
  • Cet accord devra respecter les conditions d’un accord collectif majoritaire (50% des voix au 1er tour des élections des organisations représentatives) à partir du 1er mai 2018. Entre le  1er janvier 2018 et le 30 avril 2018, les règles de droit commun de signature d’un accord s’appliquent (30% des voix);
  • L’accord doit comprendre a minima les mentions suivantes :
    • Les modalités et conditions d’information du CSE ;
    • Le nombre maximum de départs envisagés, de suppression d’emplois associés et la durée de la mise en œuvre du plan ;
    • Les conditions à remplir par le salarié et les critères de départage entre les candidats ;
    • Les modalités de calcul des indemnités de rupture (au moins équivalentes aux indemnités légales de licenciement) ;
    • Les mesures visant à faciliter le reclassement externe ;
    • Les modalités de candidature au départ des salariés ;
    • Les modalités de suivi de la mise en œuvre du Plan de Départ Volontaire.
  • L’ouverture de négociation en vue d’un accord donne lieu à information de la Direccte. De même, l’accord est soumis à la Direccte pour validation (dans un délai de 15 jours), cette dernière vérifiant « la conformité de l’accord », « la présence des mesures », « la régularité de la procédure ».
    Précisons qu’aucun délai n’est fixé pour la négociation de ce nouvel accord alors qu’il est défini dans le cadre des procédures de PSE en fonction du nombre de postes supprimés (de deux à quatre mois).

Au regard de ces principes, des différences fondamentales apparaissent entre ces nouvelles dispositions et celles prévues par le Plan de Sauvegarde de l’Emploi sur plusieurs points.

1/ Pas de mission légale d’accompagnement par un expert-comptable

 Les Ordonnances ne prévoient pas de possibilité par les représentants du personnel ou les organisations syndicales de se faire accompagner par un expert-comptable (analyse économique, organisationnelle et sociale du projet de réorganisation et aide à la négociation).

Le recours à l’expertise libre (financée à 100% par le CE/CSE) reste envisageable, mais pose de sérieuses contraintes : accès restreint à l’information, participation non prévue aux réunions de négociation, pas de présentations définies d’analyses et/ ou d’un rapport…

Ainsi, à défaut d’un accord de méthode prévoyant explicitement les modalités d’intervention et le financement d’un expert-comptable, les organisations syndicales et le CE/CSE devront appréhender les enjeux économiques et sociaux et négocier seuls.

L’absence de recours à l’expert-comptable est d’autant plus préjudiciable pour ce type d’accord qu’il est reconnu qu’il contribuait à l’émergence d’un accord dans le cadre des PSE (meilleure compréhension des enjeux, adaptation des mesures sociales, recherche d’une organisation pertinente…).

2/ Aucune motivation économique à fournir pour justifier l’origine de l’accord

Dans le cadre d’un PSE, le motif économique à l’origine des suppressions de postes doit être explicité. Les critères pouvant justifier la réorganisation ont été redéfinis dans la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (loi El Khomri) : difficultés financières, incidences techniques,  modification de l’organisation, nécessité de sauvegarder la compétitivité… De même, le secteur d’activité et le périmètre du Groupe retenu pour l’analyse des difficultés doivent être mentionnés (sur le territoire français suite aux récentes Ordonnances sur le licenciement économique collectif).

Or, dans le cadre de la rupture collective économique, aucune justification économique n’est imposée pour initier un accord.

Pourtant, cette justification économique permet de donner un sens, une explication à la suppression de postes. Que les salariés soient volontaires ou contraints, il est indispensable pour les élus et les organisations syndicales de saisir les raisons qui amènent l’entreprise à se réorganiser. L’absence de recours à l’expert-comptable constitue un recul majeur dans la capacité à interroger la direction sur les origines économiques de son projet de réorganisation.

Cette compréhension et cette transparence des motivations sont par ailleurs à la base de la négociation. Le dialogue social pâtira probablement de ce manque d’explications économiques.

En outre, deux conséquences directes de cette disparition du motif économique peuvent être évoquées :

  • La fin des recours individuels post-réorganisation devant les prud’hommes pour absence de cause réelle et sérieuse liée au motif économique;
  • La fin de la latitude des inspecteurs du travail pour refuser les départs des salariés disposant d’un mandat en raison d’une absence de motif économique probant (pas de cause réelle et sérieuse).

Enfin, plusieurs questions subsistent avec l’absence de référence au motif économique : Quid de l’appréciation de l’effort de l’entreprise pour favoriser le retour à l’emploi des salariés volontaires ? Comment mesurer cet effort au regard des moyens financiers de l’entreprise ou du groupe d’appartenance faute de présentation d’éléments économiques ?

À nouveau, le rôle de l’expert-comptable dans les PSE consiste également à estimer, mettre en évidence les moyens financiers éventuels des entreprises pour améliorer les mesures sociales. Faute d’intervention d’un expert-comptable sur ce domaine, les organisations syndicales seront-elles en capacité d’apprécier l’équilibre de l’accord ?

3/ Aucune analyse sur les conséquences organisationnelles et sur les charges d’activité

À l’identique du motif économique, il n’est pas prévu d’obligation sur la présentation des conséquences organisationnelles dans le nouveau dispositif. A contrario, cette thématique est nécessairement abordée par l’intervention de l’expert-comptable dans le cadre des PSE, a minima sous l’angle de scénario en fonction du nombre de volontaires.

L’examen de l’organisation cible en fonction de l’activité et des effectifs conservés devrait a minima donner lieu à échange avant la signature d’un accord. Notons par ailleurs que la référence aux catégories professionnelles n’apparaît pas dans la rupture conventionnelle collective. La problématique organisationnelle risque d’être totalement occultée dans le cadre de ce nouveau dispositif.

Cette approche organisationnelle reste également essentielle également sous l’angle de l’analyse des conditions de travail post-réorganisation. Si l’absence d’expert-comptable constitue un manquement important sur cette question de l’organisation, les textes ne prévoient pas non plus l’intervention d’un expert CHSCT (« habilité ») pour étudier les conditions de travail et les charges d’activité des salariés restants dans l’entreprise.

Dans ce cadre, les signataires de l’accord seront-ils réellement imprégnés des conséquences de la réorganisation ? L’accord ne devrait pas uniquement se focaliser sur les modalités de sorties des volontaires, mais comprendre un chapitre sur la situation des salariés restants.

4/ Des mesures sociales d’accompagnement à négocier, mais sans socle obligatoire

Les mesures sociales d’accompagnement des salariés volontaires envisagés dans les textes les suivantes : «  Les actions de formation, de VAE ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou la reprise d’activités existantes ». Au regard des obligations qui incombent aux directions dans le cadre des PSE, les mesures sociales listées pour l’accord de rupture conventionnelle collective sont sommaires et peu contraignantes.

Certains dispositifs d’accompagnement ont ainsi disparu tels que le congé de reclassement (pour les entreprises appartenant à un groupe de plus de 1000 salariés) ou le Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP).

D’autres mesures sociales pourront, éventuellement, être ajoutées à l’accord : la compensation de perte de rémunération (allocation temporaire dégressive), la prise en charge des frais lors d’une mobilité géographique, la priorité de réembauche…

À nouveau, l’intervention de l’expert-comptable sur ces points constitue un temps fort lors de la négociation dans les PSE. En analysant la pertinence des mesures au regard des populations potentiellement ciblées par les réorganisations, l’expert-comptable est en capacité d’alerter les organisations syndicales sur les mesures à améliorer ou à ajouter. Ce ne sera plus le cas dans les ruptures conventionnelles collectives.

Ce sujet est d’autant plus sensible que la catégorie des salariés de 50 ans et plus était la plus concernée par les ruptures conventionnelles individuelles. Il est fort à parier que cette situation se reproduira dans le cadre des ruptures conventionnelles collectives.

Un amendement aux textes initiaux du 22 septembre 2017 a été apporté. L’administration validera l’accord après « s’être assuré » que « les mesures de reclassement externe d’accompagnement (…) sont précises et concrètes et si elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à l’objectif d’accompagnement et de reclassement externe des salariés ». Cette attention de l’administration est suffisamment peu « précise et concrète » pour envisager un refus de validation sur la base de cette mention. Elle ne constituera donc pas un garde-fou contre un accord inefficient sur les mesures sociales.

Par ailleurs, dans le cadre du PSE, les mesures de départ volontaire étaient assorties d’une condition : la présentation d’un projet professionnel par les salariés volontaires. L’objectif de l’Administration était explicite : le salarié volontaire devait quitter un emploi pour un autre emploi / une autre situation professionnelle (ou la retraite). Cette obligation n’existe pas dans la rupture conventionnelle collective : les salariés pourront être pris en charge par Pole emploi après mise en œuvre de l’accord, ce que l’administration avait cherché à limiter lors des PSE. Il s’agit par conséquent d’un transfert des obligations de reclassement et d’adaptation des salariés de l’entreprise vers la collectivité.

Au travers de ce nouveau dispositif, un risque majeur réside ainsi de définir des accords avec une prime de départ volontaire attractive, « compensant » une des mesures sociales de faibles portées. Ce dispositif permet-il de légitimer le retour au « chèque valise » si largement décrié par le passé ?

Enfin, il sera nécessaire d’alerter les organisations syndicales sur le fait que l’application de cet accord devrait se traduire par un délai de carence pouvant aller jusqu’à 150 jours suite à l’inscription à Pôle Emploi (contre maximum 75 jours pour les PSE). Cette différence devra immanquablement être prise en compte lors des négociations de la prime de départ.

 

En conclusion, par ce nouveau dispositif, l’Ordonnance relative à « la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail » vise ainsi surtout à sécuriser juridiquement les ruptures collectives de contrats. Il est particulièrement regrettable que le motif économique ait disparu et que les mesures sociales ne reprennent pas a minima celles du PSE. De même, l’intervention de l’expert-comptable aurait également permis de stimuler la négociation en renforçant les moyens des organisations syndicales et finalement de favoriser le dialogue social. Il semble donc qu’avec la rupture conventionnelle collective, le volet flexibilité de la flexisécurité, tant mis en avant par le Gouvernement, semble acquis. En revanche, le volet Sécurité paraît absent de la réflexion, traduisant de fait le déséquilibre profond de ce nouveau dispositif.

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